Une femme d’environ vingt-cinq ans entra dans l’auberge. Vêtue d’un sarouel et d’un kurta, coiffée d’un tambourin écarlate, chaussée d’élégantes bottes assorties, elle portait sur la cuisse droite un cimeterre damasquiné dont la garde finement ouvragée témoignait d’un certain rang.
La conversation cessa instantanément. Le patron se leva, interloqué.
Gaël, qui tourna la tête pour voir qui pénétrait dans la salle, serra malgré lui les poils du chat entre ses doigts. Les deux derniers clients restèrent figés : l’un, un goujon suspendu à mi-chemin de sa bouche ; l’autre, le nez levé au-dessus de sa chope, scrutant par-dessus la mousse la silhouette qui venait de franchir le seuil.
Historia est une ville cosmopolite, exempte de tout stéréotype sexiste. Les femmes y fréquentent volontiers les auberges — pas seulement les courtisanes ou les saltimbanques venues y travailler, mais aussi les commerçantes, les paysannes, les bourgeoises. Elles hantent restaurants, tavernes et cabarets, seules, entre amies ou en compagnie de leurs compagnons, mais évitent les bouges, bien entendu.
Certaines artistes tiennent même salon à la « taverne des arts ».
Une femme armée n’est pas chose courante à Historia, sans être pour autant exceptionnelle : la cité abrite une école d’escrime réputée, dirigée par une maîtresse d’armes célèbre.
Ce n’était donc ni la silhouette agréable de la visiteuse, ni sa prestance, qui laissait les quatre hommes sans voix.
Le métissage d’Historia favorisait depuis longtemps l’apparition de créatures d’une grande beauté. Leur stupeur venait plutôt de la voilette écarlate qui masquait le visage de la nouvelle venue.
Ho ! bien sûr, ils en avaient déjà vu. Parfois, des veuves portent quelque temps des voiles noirs, qui ombrent légèrement leurs minois — pour feindre la tristesse ou dissimuler leurs sourires, disent les mauvaises langues ; pour protéger leur chagrin, assurent les bonnes gens.
Mais celle-ci arborait une voilette d’un rouge éclatant, presque joyeux, qui vous “claquait à la figure”. Et surtout, elle était totalement opaque : si dense qu’ils se demandaient comment la jeune femme pouvait bien voir au travers. Si impénétrable qu’elle aurait pu cacher la tête d’un carlin sans que nul ne s’en doute.
Reprenant ses esprits, l’aubergiste s’inclina légèrement, lui proposa une table et s’enquit de ce qu’elle désirait.

J’entrais dans l’hôtellerie ; aussitôt le silence se fit, et les quatre hommes attablés semblaient tétanisés. Un chat tenta de s’enfuir, mais je l’en empêchai d’une main ferme. Habituée à provoquer ce genre de réaction dans ces contrées où ma réputation ne m’avait pas précédée, je pris quelques instants pour observer la salle. Mon regard s’arrêta sur le félin : étrangement, il fixait le ruban qui me ceignait la taille comme s’il comprenait son message. Je me rappelai : « Si un jour, tu rencontres une personne, homme ou femme, qui réussit à lire cette phrase, elle apparaîtra non cryptée sur le ruban. » Ce n’était pas pour un chat que ce secret existait.
Je repris mon examen et repérai un coin plongé dans l’ombre. « Merci, je m’installerai là ; renouvelez la consommation de son occupant et amenez-moi la même chose, je suis sûre que cela me conviendra », dis-je à l’aubergiste. J’avançai, saisis une chaise : l’obscurité se dissipa, et l’homme que je cherchais apparut. Je l’interpellai :
« Vous permettez, golem ?
— Je vous en prie, prenez place ! Mais je ne suis pas un golem, je suis fait de chair et de sang.
— Admettons. Je vais vous surprendre, mais je pense que nous allons cheminer côte à côte un certain temps.
— Ce n’est pas impossible, mais dites-m’en plus. »

« Roland, la princesse, et le Djinn réunis dans une pièce, je sens que les choses vont se compliquer.
— Évidemment, disciple. J’espère que tu ne provoqueras pas un brouillamini comme il y a deux ans.
— Promis, Merlin. Je me tiendrai tranquille, sinon je sais, des calottes.
— Des calottes ? Des calottes oui, mais pas seulement. Où étais-tu l’an dernier quand maître Léonard a suivi sa cure en février-mars, et non en mai-juin comme d’habitude ?
— À la ferme pour traire les vaches.
— Si tu me mets une pagaille indescriptible dans cette histoire, je te bannirai et tu iras tirer sur des pis, pour remplir des seaux de lait, chaque fois que maître Léonard ira prendre les eaux.
— Oui, Merlin, j’ai bien compris. Mais dites-moi, ne trouvez-vous pas bizarre que le Djinn soit arrivé ici maintenant ?
— Tu as dit, bizarre, bizarre, comme c’est étrange ! Pourquoi as-tu dit, bizarre ? 👋1
— Ben… parce que c’est bizarre que, chassé du monde où il se trouvait précédemment, il surgisse précisément ici, à ce moment précis.
— As-tu réellement cru que le Tout-Puissant avait enjoint à Miou d’aller jouer ailleurs, simplement parce qu’un rovalug boursouflé d’orgueil s’en est plaint ? 👋 Penses-tu qu’une de ses créatures puisse non pas prier ou implorer, mais “discuter avec” le Créateur ? 👋 Envisages-tu que le Très-Haut se soit trouvé embarrassé ? Es-tu aussi stupide qu’un dragon ? Le Grand Architecte a intimé au djinn de venir ici parce que tel est son dessein. 👋
— Oui, Merlin. »
Le disciple se frotte l’arrière de la tête en marmonnant : « Quand cessera-t-il de se prendre pour l’agent Gibbs ? »
***
1) 👋 ➢ Merlin calotta son disciple.
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