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La dislocation tectonique de rupture sans déplacement visible avec ouverture

« Dites-moi Merlin, pourquoi le chat blanc a-t-il dit qu’il saluerait sa mère de la part de Roland ?
– Voyons, disciple, c’était une façon de le congédier ! »
***
Arrivé à l’ancien temple en ruine, Mir prit la tête du ka-tet et se dirigea vers une trémie située derrière la statue de Bastet. Tous descendirent l’escalier, et furent surpris par le confort apparent des diverses pièces dont Mir ouvrait les portes, toutes munies de chatières, en avançant dans le couloir comme s’il était le maître des lieux.
« Tu es déjà venu ici ?
– Oui, Silaid, lors de ma dernière exploration, j’ai visité ce temple de fond en comb… En l’absence de combles, je dirais… minutieusement. »
Une pensée effleura la conscience de Roland, « il se comporte comme s’il était chez lui », puis s’effaça, aussitôt oubliée. Roland, comme les autres membres du ka-tet, sentit sa fatigue disparaître, sa faim se calmer. Il remarqua que les colonnes vertébrales de ses compagnons se redressaient. Il entendit leurs respirations s’apaiser, il vit leurs traits se détendre (à l’exception des ceux de Silaid, continuellement masquée). De nouveau, une idée se cristallisa, avant de se dissoudre dans le néant : « le temple s’occupe de nous revigorer ». Le sous-sol leur procurait une fraîcheur bienvenue. Sans cesse intrigant, Mir resta seul un long moment dans une pièce où un feu dansait joyeusement. Puis il rejoignit Shirley et Nibs pour des ébats toujours aussi bruyants. Kay, elle avait accaparé le jeune Gaël, qui n’avait rien demandé, pour le déniaiser. Kay, qui savait être tendre et câline, s’acquitta avec plaisir de la tâche que Mir lui avait discrètement confiée. Gaël de son côté rouge comme une pivoine avait bien mollement protesté, avant de succomber aux douces promesses susurrées à son oreille, puis aux baisers… Il s’estimait maintenant le plus heureux homme que la planète eut jamais porté.
Silaid et Roland discutèrent toute la nuit. Elle lui avoua que, hormis l’apprentissage de ce que l’on éprouve face à quelqu’un dont on ne voit pas le visage, elle l’avait également recherché, parce qu’elle avait ouï dire qu’il collectait les récits, dans le but de les conserver et de les diffuser. Roland enregistra à l’aide du study-pad l’histoire de Silaid et celle de ses parents. Il posa, enfin, l’artefact sur la carte de l’empire, puis sur le recueil dans lequel elle avait transcrit, les contes que sa mère avait narrés à son père pendant mille et une nuits afin d’éviter la décapitation. Au milieu de la nuit, ils virent Mir qui se dirigeait vers l’escalier. « Je vais inspecter les environs », leur lança-t-il. Plongés dans leur discussion et habitués à ses escapades, ils se contentèrent d’acquiescer. Deux heures plus tard, ils purent entendre au loin deux félins se défier. À l’intensité et au volume, des feulements d’intimidation, les animaux devaient être énormes. Lorsque les cris cessèrent, à un demi-mille les échos d’un carnage parmi les canards-zombies résonnèrent. Par la suite, ce furent des vocalises d’accouplement qui retentirent dans la forêt.
À six heures, tous étaient debout dans une forme resplendissante, y compris Silaid et Roland qui n’avaient pas dormi une minute. Ils étaient réunis devant le temple et Roland avait commencé à souffler dans l’oo’lu quand Mir se joignit à eux. La dislocation n’était qu’à quatre heures et demie de marche, ils se mirent en route, Silaid et Mir restèrent en arrière-garde pour vérifier que tous les monstres suivaient. Arrivés auprès de la déchirure, maintenant large de plus de soixante toises, ils trouvèrent le pont de singe rompu. Immédiatement, Roland cessa de jouer.
« Les passerelles sont toutes dans cet état depuis l’agrandissement de la cassure.
– Tu es sûr, Nibs ?
– Oui Roland, elles ont cédé lors de l’élargissement. Auparavant, en réparer une était déjà une opération complexe, demandant à l’aide de cordes de réunir les deux parties d’un même côté afin de les réassembler, puis de la retendre des deux rives. Mais depuis, il faut, pour chacune, en plus des cordages acheminer des planches supplémentaires. Ces opérations n’ont pas encore commencé.
– Ho ! Ho ! Serions-nous coincés ? lança Mir, qui arrivait avec Silaid.
– Oui, et si les zombies surviennent nous allons être en très mauvaise posture, fit remarquer Shirley.
– Mais Silaid est une magicienne, alors elle va nous sortir de là n’est-ce pas, avança Mir.
– Comment sais-tu cela, toi ?
– Je t’ai entendu le dire à Roland au poney fringant.
– Mais tu n’étais pas à l’auberge, tu ne t’es joint à nous qu’à la taverne, répliqua ce dernier.
– J’étais bien présent, même si vous ne m’avez pas remarqué, mais nous sommes pressés. Alors, Silaid utilise ta magie !
– Je suis certaine de ne pas pouvoir nous emmener tous sur l’autre côté, mais je peux essayer de reconstituer le pont. »
Silaid se concentra, marmonna un charme ; les deux tronçons, qui pendaient de chaque lèvre de la faille, s’élevèrent à l’horizontale, Silaid murmura de nouvelles incantations, les fils composant les torons crûrent telles des vrilles, enlaçant les planches qui apparaissaient, les incorporant dans le tablier. Les filins se rejoignirent, ils fusionnèrent avec leurs vis-à-vis. En quelques minutes, la passerelle fut réparée.
« Je me dévoue, comme je suis le plus lourd, si je passe, vous pourrez tous me suivre », déclara Mir en avançant sur le pont. Il le franchit sans autres soucis que le balancement inhérent à ce genre d’ouvrage. Ils le parcoururent un par un, à l’exception de Gaël qui vint au secours de Kay qui s’était immobilisée au milieu. Quelques-uns des canards-zombies, qui s’étaient égaillés, arrivaient par la piste ; au moment où Roland, qui fermait la marche, traversait. Silaid, de deux coups de cimeterre, rompit les attaches du pont qui alla s’écraser contre la paroi opposée de la dislocation.
Roland se remit à jouer, des palmipèdes dentus commencèrent à choir dans le gouffre.
Roland souffla dans l’oo’lu pendant des heures, des zombies tombèrent pendant des heures.
Une heure après la chute du dernier canard, Roland cessa d’interpréter l’abattoir.

***
   ou 

Histoire de chats

Une heure plus tard, lorsque Roland descendit, un Mir narquois lui lança :
« Agréable réveil ?
– Qu’est-ce qu’il raconte, celui-là, aucun bruit n’a été fait sur cette terrasse ? Vous voulez dire à partir du moment où vous avez cessé vos ébats, avec votre harem ?
– Non, non, Roland, je ne parlais pas de “mes” ébats… Tu ne crois pas qu’il est temps de se tutoyer ?
– Pourquoi pas ? D’autant qu’il y a belle lurette que tu tutoies tout le monde ! »
Silaid, arriva à ce niveau, suivie de Gaël.
« Bonjour ! Prêts au départ, leur lança-t-elle ?
– Bonjour ! bailla Roland.
– Bonjour ! Silaid, Gaël, avez-vous bien dormi ? Comme tu peux le constater, Silaid, nos amis eux dorment encore, ils n’ont pas récupéré de leurs quarante-huit heures de marche ! Ha ! Oui, avec Roland, nous sommes convenus de tous nous tutoyer.
– Je vois que tu as la santé, mais il était peut-être inutile de les mettre dans cet état ? railla Roland.
– Indispensable ? Non, mais tellement… bon ! N’est-ce pas ?
– Roland, es-tu d’accord pour leur accorder jusqu’à dix heures ? Et toi, Gaël ? Mir, nous ne pourrons attendre plus longtemps ! »
Les deux premiers acquiescèrent.
« Merci pour eux, je vais en exploration si personne n’y voit d’inconvénient ? »
Silaid et Roland approuvèrent.
« Je peux venir ?
– Non, Gaël, je t’aime beaucoup trop pour te mettre en grand danger, alors reste dans la tour !
– Mais…
– Mir, à raison, confirma Silaid !
– D’accord ! D’ailleurs, je vais aller jouer une demi-heure pour rassembler les bestioles, conclut Roland.
– Je t’accompagne pour veiller sur ta sécurité, Gaël monte sur la terrasse et observe les mouvements des monstres. »
Silaid et Roland marchèrent une heure avant d’apercevoir les canards-zombies. Roland s’assit et commença à souffler dans l’oo’lu, pendant que Silaid patrouillait sur les côtés et sur leurs arrières, afin de s’assurer qu’aucun palmipède dentu ne prendrait son compagnon par surprise. Après une demi-heure, ils se mirent en route. La masse, se dandinant dans le clac, clac, clac des becs armés de dents, suivait Roland, qui interprétait toujours l’abattoir. Il était neuf heures trente, lorsque Silaid, qui avait distancé Roland d’une dizaine de minutes, entra dans la tour. Shirley, Kay et Nibs étaient debout et prêts au départ. Gaël était en grande conversation avec Mir, lui expliquant que de la terrasse, il avait vu Miou détruire des canards morts-vivants ; que Miou était un chat, avec qui il s’était lié au poney fringant ; que personne ne voulait le croire, mais qu’il était certain qu’il s’agissait de Miou. Mir l’assura qu’il ne doutait pas de lui, et était persuadé qu’il avait raison.
Au moment du départ, Mir fit fort pertinemment remarquer qu’il était inenvisageable de faire traverser Mediatika, aux monstres qu’ils guidaient. Ils mirent donc le cap à l’est, afin de passer hors de vue de la cité. Ils n’eurent ainsi jamais connaissance de la mystérieuse disparition, qui agitait toute la ville. La veille, tous les hommes de la garnison furent occupés à éteindre un incendie, déclenché par un chat maladroit, qui avait renversé le brasier d’un marchand de grillades. Ce n’est qu’après avoir circonscrit le sinistre, regagnant leur poste, à la porte du sud, que les gardes demeurèrent ébahis, devant l’inexplicable absence de la tour droite, dont il ne restait étrangement qu’un escalier montant à un étage inexistant.
Le ka-tet marcha quarante heures avant de trouver un nouveau refuge. Mir continuait ses reconnaissances, afin d’éviter les habitations isolées. Nibs, Gaël, Kay et Shirley cueillaient, ils chassaient le gibier à poil, remplissaient les gourdes aux points d’eau ; ils tiraient ou occupaient, alternativement, le travois. Silaid veillait à la sécurité de Roland.
Le ka-tet entra dans la forêt, la progression de la harde de canards-zombies en fut passablement ralentie. Arrivé à cent toises de la clairière, sise à moins d’une heure de marche de la sente du fol, Roland cessa de jouer. Devant la chaumière, ayant contenu “Le Grimoire”, Mir refusa absolument d’y pénétrer, il proposa, ou plus exactement persuada (le tout-puissant sait par quels moyens) ses compagnons de rejoindre le temple récemment apparu dans les environs.
Alors que le reste du ka-tet suivait Mir, Roland s’attarda. Il grimpa le long de l’échelle posée contre le pignon de la maisonnette, entra dans le grenier. Il observa attentivement les lieux, pas de grimoire, pas de chatte noire, mais venant de nulle part un chat d’un blanc immaculé se dirigea vers lui, lui communiquant :
« Te souviens-tu de moi ? Tu m’as fait me regarder dans un morceau de verre-dragon noir !
– Oui, je me souviens de toi. Ta mère t’avait utilisé pour démontrer l’innocuité de “Le Grimoire”. Et d’ailleurs, où est-elle ta mère, si elle est ta mère, bien sûr ?
– C’est bien ma mère, elle est sortie, elle recherche un impudent qui a eu l’audace de s’établir sur notre territoire. Je la saluerais pour toi.
– Fais comme cela ! »
Roland quitta le grenier et allongeant le pas, rejoignit le ka-tet.
***
« Merlin, croyez-vous qu’il soit raisonnable pour Roland Silaid et les autres de s’installer dans le temple de Bastet ?
– Qui sait disciple, qui sait ?
– Dites Merlin, c’est normal tous ces trois ?
– De quels “trois” parles-tu ?
– Ben, c’est la troisième session du MOOC. Il y a dans cet atelier d’écriture trois personnages féminins dont les noms sont liés : Silaid, Cybelle et Sébyle. Une aventure a pour titre “La troisième Quête”. Dans l’œuvre “Silaid en Fantasy”, il y a trois personnages qui dissimulent leurs regards. Et peu s’en faut que trois histoires n’aient été développées dans cet atelier.
– Pourquoi “peu s’en faut” ?
– Ben ! Parce que RosenDero a écrit un chapitre et n’a pas continué.
– Je comprends ! Néanmoins, cherche bien, et peut-être trouveras-tu ta troisième histoire.
– Heu ! Et ma réponse ?
– Coïncidence ? Magie ? Là encore, disciple, cherche bien et tu trouveras la réponse. »

***
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Nuit de Sîn

Cela faisait quarante-huit heures qu’ils progressaient dans une atmosphère délétère – saturée d’odeurs de viande et de sang, ainsi que de cris d’agonie – engendrée par l’oo’lu dans lequel Roland soufflait en permanence. Dans la chaleur de cette mi-juin, tous les membres du ka-tet, à l’exception de Mir, étaient nauséeux. Fort heureusement, Silaid avait confectionné, avec des plantes cueillies sur les bords des chemins, une lotion dont tous s’étaient oints, pour se débarrasser des centaines de mouches qui, frustrées d’avoir été bernées par leur odorat, s’acharnaient sur le ka-tet. À la suite de quoi le nuage vibrionnant s’était rabattu sur la masse des canards-zombies, qui les suivaient à cent cinquante toises de distance. Lesquels, au grand dam des humains, ne semblaient nullement dérangés par les insectes.
Silaid avait eu l’idée de faire fabriquer un travois dans lequel, Shirley, Kay, Gaël et Nibs s’étaient reposés à tour de rôle. À l’exception de Roland, tous se relayaient pour tirer le traîneau, aucun animal de trait n’étant envisageable dans l’environnement pestilentiel créé par Roland. Mir n’était indisposé ni par les cris, ni par les odeurs, ni par la chaleur, et n’avait nullement l’air fatigué. Silaid, protégée par sa voilette, manifestement plus efficace que les mouchoirs utilisés par certains membres du ka-tet, était relativement épargnée par la puanteur. L’épuisement guettait le groupe. Mir partit en reconnaissance afin de trouver un abri sûr. Une heure et demie plus tard, tous purent observer une certaine agitation au sein du rassemblement des canards-zombies. Gaël prétendit avoir vu Miou bondissant et décapitant des palmipèdes. Silaid ne réussit pas à le convaincre que c’était impossible, qu’il s’agissait d’un autre prédateur, que malheureusement Miou était probablement mort à Historia lors de son attaque des zombies. Une demi-heure après la fin de la sarabande, Mir était de retour. Il annonça que la chance leur souriait, il avait repéré une tour haute de cinq toises, elle était isolée au milieu de champs à un mille de la route, à un peu plus d’une heure de marche.
Arrivé à cent toises de l’abri, Roland cessa de jouer. Quelques canards-zombies allaient probablement se disperser. Mais aucune habitation ni aucun troupeau n’étant en vue l’immense majorité devrait tourner en rond. Le bâtiment était muni d’une porte, à double battant, bardée de ferrures, que Gaël s’empressa de fermer à l’aide d’une barre transversale affectée à cet effet. L’escalier menant au premier étage avait été détruit, une échelle le remplaçait. Silaid y monta, suivie par Gaël, Nibs, Roland, Kay et Shirley, ainsi que Mir qui tira l’escabelle derrière lui. Des volées de marches intactes desservaient deux autres niveaux et une terrasse, entourée de créneaux, Roland choisit de camper sur celle-ci. Mir convia les deux princesses à partager sa couche, Kay et Shirley affirmèrent que c’était dans ce dessein qu’elles s’étaient jointes au groupe. Il invita Gaël à bénéficier des faveurs de l’une des ribaudes, offre que celui-ci déclina en rougissant ; il fit une proposition identique à Nibs, qui répondit que les femmes ne l’intéressaient pas. Mir l’observa, s’attardant sur sa chute de reins : « Tu es plus BC que BG ! Si tu veux, je t’honorerai volontiers, mais je te préviens, il est hors de question que je te laisse me gamahucher », précisa-t-il, l’index pointé en direction des incisives de Nibs.
Silaid décida de bivouaquer au premier étage pour assurer la sécurité du ka-tet, elle offrit à Gaël de s’installer au même niveau qu’elle, ce qu’il s’empressa d’accepter, soulagé de ne pas rester seul à un autre étage. Sans être pudibonde, Silaid était chaste. Elle n’ignorait pas que malgré la laideur de son visage, son corps inspirait le désir, elle-même en éprouvait parfois, mais elle refrénait ses émois, car elle savait jusqu’où ils pouvaient mener. Les dérives de la débauche, de la lubricité et de la luxure étaient évoquées, dans plusieurs des contes de sa mère. De plus, elle était intimement persuadée que la rencontre promise dans le message du djinn serait source d’Amour, mais jamais cette vérité n’effleura sa conscience.
Mir entraîna Nibs, Shirley et Kay deux paliers plus haut, d’où gémissements, râles, cris de plaisir et bruits d’ébats retentirent jusque très tard dans la nuit. Mir, inépuisable amant, exténua les deux ribaudes et le giton. Sous toutes ces caresses, Miou s’était gorgé de mana.
Au petit matin, des pas résonnèrent sur les marches menant à la terrasse. Une culotte sombre dépassant de cuissardes et une tunique verte, assortie à ses yeux, vêtaient la magnifique jeune femme rousse. Dans son dos était accrochée une longue épée à une main et demie. À sa ceinture pendaient une dague sur la hanche droite et un court poignard sur la gauche. Mesurant cinq pieds six pouces, elle se nommait Adèle de La Tour Noire 1. Arrivée sur la plate-forme, contrairement à tout ce qu’il savait d’elle, elle se débarrassa de ses bottes et de son pantalon gardant sa cotte et ses armes puis s’offrit à califourchon au-dessus des lèvres de Roland, qui s’exécuta aussitôt. Plus tard lorsqu’il voulut reprendre l’initiative, elle se pencha en avant l’invitant à continuer de pratiquer ce qui était interdit à Nibs. Elle quitta la terrasse, sans avoir prononcé un mot, laissant Roland tendu, frustré, abasourdi, dubitatif. Ce qu’il venait de vivre était impossible, Adèle n’appartenait pas à ce monde, pourtant son désir était là, douloureux, inassouvi. Il n’avait pas rêvé, Roland ne rêve pas. Il avait son goût dans la bouche, tel qu’il l’avait imaginé. Renonçant à comprendre il se délecta de la cyprine qui imprégnait ses papilles.
***
Note :
1) Adèle de La Tour NoirePersonnage créé par Hazeldark. Adèle a participé avec Roland à La Quête d’Anthéa (œuvre collective écrite lors de la deuxième session du mooc Fantasy, de l’Angleterre victorienne au Trône de fer).

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Le Joueur d'oo'lu d'Historia

Les officiers, satisfaits de la cessation de l’afflux de canards-zombies, ne tardèrent pas à réaliser la situation. Leurs hommes avaient décervelé une dizaine de milliers de ces palmipèdes dentus, au prix d’une douzaine de blessés. Mais plusieurs centaines de milliers de ces monstres s’étaient répandus dans la ville. La pression exercée par leur nombre avait déjà fait céder quelques portes, par lesquelles des canards-zombies étaient entrés dans des bâtiments. Leur maladresse à monter les marches permit à la plupart des habitants, des demeures concernées, de se réfugier dans les étages et de s’y barricader.
Lorsque les derniers envahisseurs, pourchassés par les troupes historiaines, furent passés devant la taverne ; un groupe, composé de huit hommes et trois femmes, en sortit et se dirigea vers les gradés. Roland demanda à ceux-ci un bref aparté ; Silaid leur exposa les effets, des morsures, qu’ils avaient constatés. La réputation d’Airt et un œil jeté aux blessés, dont ceux qui le furent en premier étaient au bord de l’agonie, convainquirent les trois officiers. Fort de l’affirmation, par les témoins, de l’existence d’un délai entre la mort et la réanimation des victimes du fléau, un débat agité s’engagea. Contrairement à l’avis de Mir, curieusement soutenu par Joe, qui prônait l’extermination immédiate des contaminés ; il fut convenu d’attendre le décès des combattants meurtris, avant de détruire leurs cerveaux, puis de brûler leurs cadavres.
Des hommes enflammaient déjà un bûcher constitué à la hâte sur la place, pendant que d’autres y jetaient les canards décervelés, afin d’éviter qu’une épidémie, due à la putréfaction, ne s’ajoute à la situation catastrophique dans laquelle se trouvait la ville. Le problème des soldats mordus, guet et gardes confondus, était réglé ; mais comment neutraliser les habitants ayant subi le même sort, dans leurs maisons rendues inaccessibles par la masse mouvante des anatidés morts-vivants ? Très rapidement, les troupes devraient faire face à des zombies humains. Mir interpella alors Roland.
« Dis donc, Roland, toi qui as accès à une multitude de données. Que t’évoques “Hamelin” ? »
Tandis que ce qu’impliquait l’énoncé de la question s’effaçait de ses pensées, Roland répondit : « Rien ! De quoi ou de qui s’agit-il ?
– C’est toi le héros ! Non ? Cherche, je ne vais pas tout te mâcher !
– Je ne suis pas un héros, juste un collecteur d’informations ! »
Étrangement, Roland ne remarqua pas l’absurdité de cet échange, mais il sortit le study-pad de sa poche Nakor, il l’approcha de sa bouche et décrivit la situation dans laquelle il se trouvait, puis ajouta : « Merci de me transmettre tous les renseignements relatifs au mot “Hamelin”, qui pourraient nous être utiles. C’est urgent ! » Il remit le study-pad dans son Shaed, l’en ressortit quelques minutes plus tard alors qu’il vibrait. Il y lut à haute voix comment le joueur de flûte débarrassa Hamelin de ses rats. Rangeant l’artefact, il commenta « évidemment je peux essayer de les charmer avec l’oo’lu, mais je ne vois pas comment les noyer. » Après un long silence pendant lequel chacun cogitait, Nibs intervint : « Et la déchirure ! Si vous les précipitiez dans la dislocation tectonique de rupture ? »
Tous approuvèrent ce projet.
Dans l’ombre de sa capuche, Roland posa les lèvres sur l’embouchure de l’oo’lu et il joua le chant du vent sur les champs d’avoine, les canards-zombies ne réagirent pas. Il interpréta le son des fléaux sur les épis de blé, puis le bruit du maïs que l’on égrène, il essaya celui de l’orge que l’on verse dans les auges, toujours aucune réaction. Il simula la brise soufflant sur un étang ou des eiders nageaient entre des joncs, il imita un vol de colverts cancanant pour inviter leurs lointains cousins à les rejoindre. Rien, il n’obtint aucun résultat. Roland suivait les troupes et ses compagnons qui progressaient, derrière l’arrière-garde des envahisseurs. Ils en neutralisaient un maximum et pénétraient dans toutes les habitations dont la porte avait été enfoncée. Les mots s’échappèrent de la cuculle : « Je n’arrive à rien, je cherche et je ne trouve pas ce qui pourrait bien les charmer. » Airt qui se tenait à côté suggéra : « Eu égard à leurs dents et leur comportement essaie la viande ! » L’oo’lu n’émit aucun son, lorsque Roland voulut exécuter un abattoir. Il se concentra, tenta de persuader mère Nature de la nécessité de reproduire cette horreur. Puis il joua les animaux que l’on égorgeait, le sang qui coulait, les carcasses que l’on découpait, les bêtes que l’on vidait ; les canards-zombies s’immobilisèrent, puis se remirent en marche, Roland ayant aussitôt cessé.
Officiers, hommes de troupe et civils se retirèrent sur la place, Silaid et Mir proposèrent d’accompagner Roland dans son voyage vers la dislocation qui s’ouvre à la base du monde perdu. Nibs, devant rentrer au pays imaginaire dit qu’il leur emboîterait le pas. Mir demanda à Kay et à sa blonde consœur Shirley si elles étaient armées. Avec une coordination digne de danseuses de cancan, les deux ribaudes soulevèrent leurs jupes de la main gauche s’emparant de la droite d’une dague maintenue contre leur cuisse par un étui de jarretière. Mir les invita ainsi que Gaël à se joindre à leur groupe. Airt déclina l’offre devant s’occuper de son auberge. Le tavernier fit de même Joe et les deux autres hommes se rallièrent, aux soldats afin de rétablir l’ordre dans la ville, une fois que les monstres seraient partis.
Roland joua à nouveau cet air abominable sur l’oo’lu. De nouveau, les canards-zombies s’arrêtèrent. Bien que cela parût impossible, tant leur masse était compacte, tous firent demi-tour et se dirigèrent vers Roland. Le ka-tet se mit en marche vers la dislocation, suivi par des centaines de milliers de palmipèdes dentés qui claquaient du bec dans un tintamarre infernal. Que cela plût ou non à Roland, un ka-tet venait bel et bien de se former. Mir évoqua l’opportunité d’imiter le joueur de flûte, en rançonnant la ville d’Historia ; Silaid s’y opposa et refusa que le sujet soit débattu.

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La guerre de la faille n'aura pas lieu

« Ô grand djinn ! Ici, dans mon antre, tu n’es pas le plus puissant. Chaque fois que tu y viendras, tu prendras cette forme. Maintenant, va ! Tu t’es donné une mission, ne la néglige pas », ordonna Merlin à Miou.
L’image de Baronni se dissipa.
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Dans la taverne, les deux hommes qui avaient subi plusieurs morsures, dont certaines à l’abdomen, suggéraient que les canards avaient cherché à leur dévorer le foie. Ils décédèrent une heure plus tard malgré les soins prodigués. Une palabre s’était engagée entre les douze survivants. Roland exposa que les canards-zombies entraient à Historia, par une faille située dans les sous-sols de la bibliothèque, mais qu’il ignorait comment la refermer. Silaid pour sa part espérait être en mesure de la clore, mais pour ce faire elle devrait se trouver à proximité, et ne voyait absolument pas comment y parvenir. La princesse tournait le dos à la longue table, qui après avoir été utilisée comme lit de campagne faisait maintenant office de catafalque, sur lequel reposait l’une des victimes. Quand, la main du mort bougea, personne ne le remarqua ; lorsqu’elle se referma sur le poignet de Silaid, celle-ci fit volte-face, se retrouva devant un cadavre qui, bouche grande ouverte, se redressait pour la mordre.
À cet instant, un couteau de lancer percuta violemment le front du mort-vivant et y pénétra profondément projetant des esquilles aux alentours. Simultanément, une seconde lame traversa le sommet du crâne du second défunt qui reposait encore inerte sur une autre table. Suivant à rebours les trajectoires des deux projectiles tous les regards se dirigèrent vers la porte censée être verrouillée. Dans l’embrasure se tenait un inconnu, mesurant une toise à une paume près. Une paire d’étranges optiques opaques sur le nez, entièrement vêtu de cuir noir, arborant un sourire ravageur, il lança : « Ce truc-là vous saute dessus comme la vérole sur le bas clergé des Marches du Légendaire.
– Dois-je vous remercier ? Ce truc-là… était encore il y a peu, un homme courageux, se portant au secours d’un compagnon en grand danger. Alors, il mérite votre respect, s’insurgea Silaid.
– Non, Princesse, il est inutile de me remercier ! J’éliminais des concurrents qui voulaient vous voler un baiser avant moi, gouailla l’inconnu balayant le sol des plumes d’un chapeau imaginaire. Quant au truc, ce n’est pas un de ces types… mais le truc qui, quand vous êtes mordu, vous condamne à mort… et transforme votre cadavre en prédateur refilant le truc à ses victimes… Suis-je clair, Princesse ? »
Extrayant, d’un geste précis, son poignard du front du défunt qui avait tenté de croquer Silaid, il ajouta : « Vous permettez ?
– Qui êtes-vous ? Comment savez-vous qui je suis ? Quant au baiser… si j’attrape ce truc, ce sera avec plaisir ! »
Il essuya consciencieusement l’allumelle, sur la chemise du trépassé, puis la glissa dans sa botte droite. « Mais j’ignore qui vous… Ah ! Vous êtes une princesse, une vraie, pas comme les miennes ! » S’étant approché de sa seconde cible, il fit littéralement disparaître dans sa manche la lame, qu’il avait nettoyée de même façon, après l’avoir extirpée du crâne du gisant. « Je baptise “princesse” toutes les femmes séduisantes. » Se tournant vers l’accorte ribaude blonde, qui ne quittait pas des yeux son… sa… virilité, particulièrement mise en valeur par son pantalon moulant. Il badina : « Toi, ma princesse, accepterais-tu un baiser ? » La gourgandine, se pressant contre lui, l’embrassa goulûment. Dès qu’il pût à nouveau respirer, tout en appréciant, d’une main, la fermeté du postérieur de la jeanneton, de l’autre, il invita la seconde à les rejoindre. Il se présenta : « Je suis Mi… », jetant un coup d’œil sur Gaël, il se reprit : « Appelez-moi Mir ».
« Ho ! là ! gringalet ! Kay est en main alors, elle reste avec moi », tonitrua un géant, dépassant la toise d’au moins quatre pouces, qui retenait par le bras une rousse flamboyante à moitié dépoitraillée ; laquelle essayait de se dégager en vociférant « eh ! Moi, y m’plaît bien l’beau-gosse ! Joe, lâche-moi ! » Sur quoi la brute resserra son étreinte. Avec une rapidité foudroyante, Mir parcourut les quatre pas qui le séparaient du duo. De la senestre, il saisit le poignet de Joe, sur lequel il exerça une pression provoquant l’ouverture de la pogne du butor. Miou maîtrisa difficilement l’envie de planter une griffe là où il appuyait. Adonc, quand Kay s’empressa de rejoindre sa compagne, la main libre du géant entama un mouvement vers la gorge de Mir, mais s’immobilisa brusquement alors que Joe gémissant baissa la tête vers son bas-ventre. Son pantalon était fendu, une lame venait d’entailler superficiellement la peau à la naissance de son pénis.
« Joe ! J’adorerais jouer longuement avec toi, parce que tu ne peux pas savoir comme s’amuser avec la viande morte est ennuyeux. Mais il y a urgence. Souhaites-tu que nous tranchions notre différend immédiatement, le nargua-t-il ?
– …
– J’écoute… Deux princesses m’attendent. Sans vouloir vous froisser, Votre Altesse, plaida-t-il mi-figue mi-raisin.
– Mon nom est Silaid !
– Enchanté, vous me voyez désolé, de ne pouvoir vous saluer comme vous le méritez, mais je suis occupé. »
Narquois, il s’enquit auprès de celui dont une partie de l’anatomie était en péril.
« Alors Joe, tu as eu le temps de réfléchir, je coupe ou tu t’excuses auprès de Kay ?
– Exc… excuse-moi Kay, tu… tu m’appartiens pas, tu peux faire c’que tu veux !
– Voilà, monsieur, va garder ses bijoux de famille… pour l’instant. Ah ! Précision utile, j’espère vraiment que, lorsque je vais te tourner le dos, ta bêtise naturelle va reprendre le dessus ! »
Mir s’empressa de rejoindre les deux messalines. Joe hésita, une improbable lueur d’intelligence le retint de courir à la mort.
« Mon nom est Roland. Mir, je ne voudrais pas perturber ce batifolage, mais dehors, c’est l’invasion ! »
À cet instant, des cris de joie retentirent à l’extérieur.
Les hommes du guet et ceux de la garde, arrivés en renfort, se congratulaient. Le flux s’était interrompu, les derniers canards quittaient maintenant la place.
***
« Merlin, c’est vrai qu’ici vous êtes plus fort que le démon ?
– Oui bien sûr… Lorsque maître Léonard fait une expérience, réussit-elle chaque fois ?
– Ben non, d’ailleurs je vais toujours me cacher à ces moments-là.
– Eh bien ! La magie, c’est parfois pareil, Merlin se mit à chuchoter, je voulais vous rendre vos formes à tous deux. Mais je me suis trompé, je ne sais où, dans mon incantation et j’ai donné, par erreur, celle de Baronni à Miou. L’essentiel de cet art consiste à persuader l’autre des grands pouvoirs que l’on détient, si bien que je parie que si Miou revient ici, il prendra inconsciemment l’apparence de Baronni, renforçant ainsi mon autorité.
– Pourquoi le scribe dénomme-t-il le djinn, Mir et Miou, dans le même paragraphe ? Croit-il que ce sont deux entités différentes ?
– Sous sa forme humaine, le génie a choisi de se faire appeler Mir. Le scribe écrit donc “Mir”, lorsqu’il rapporte les mots et les actes de ce pseudo-humain, et “Miou” dans tous les autres cas ; ce qui inclut toutes les pensées du démon, quel qu’en soit l’aspect. »

***
   ou 

Horreur à Historia

Du pas de la porte, les occupants de l’auberge pouvaient voir à leur droite, le canard-zombie que Silaid avait décapité qui s’éloignait ; sur leur gauche, trois autres arrivaient presque à leur hauteur en se dandinant. Dix toises plus loin venait un groupe d’approximativement une douzaine de palmipèdes dentus, qui devançaient de cinq toises la masse informe que formaient leurs innombrables congénères.
***
« Ah ! Quel paragraphe ! C’est beau comme du chat qu’expire !
– Chut ! Merlin calotta le disciple.
– Merlin, ce n’est plus de la porosité, ce n’est même pas une fuite, c’est une brèche, ha, ha, ha !
– Stupide disciple, 👋1 la quantité est secondaire ! sermonna l’enchanteur.
– Mais d’où viennent-ils ?
– Je pense qu’ils arrivent d’un très lointain futur dans lequel ils sont produits par milliers dans d’immenses bâtiments, je vais te montrer. »
Merlin agita sa baguette en marmonnant une phrase incompréhensible, un tourbillon se forma autour d’eux. Quand la visibilité revint, ils apparurent le 5 juin de l’an de grâce 2017 à dix heures, devant un tunnel d’élevage avicole hors-sol sis dans le Gers.
« Voici un hangar dans lequel grandissent les palmipèdes.
– Ils élèvent des canards-zombies, sont-ils fous ? s’enquit le benêt ébahi.
– Mais non, idiot 👋. Ils engraissent des canards pour les manger.
– Ha ! Ils les parquent dans des bâtiments ! Alors bien sûr ceux-ci se sont révoltés !
– Tu as encore faux 👋  ! Au début de la présente année trois millions sept, cent mille d’entre eux ont été abattus à cause d’une maladie nommée grippe aviaire.
– Ben ! S’ils sont morts et qu’ils marchent ça doit être parce que Baron-Samedi les a transformés en zombies ! crut pouvoir affirmer le jouvenceau.
– Dis-moi, que pourrait bien faire Baron-Samedi de canards-zombies ? 👋 Et pourquoi les enverrait-il à l’époque du voyage de Silaid en fantasy ? 👋
– Heu ! Si ce n’est pas lui, qui c’est ?
– En cette époque, ceux que l’on abat sont incinérés, je crains qu’à celle d’où ils viennent Umbrella Corporation ait testé le virus T sur les cadavres des canards.
– Ha ! Oui, mais alors ce n’est plus un élément fantastique, il bascule dans l’étrange !
– Peut-être disciple, peut-être… ou dans la science-fiction ?
– Cette histoire commence à ressembler à une ratatouille.
– Est-ce l’évocation du foie gras qui est à l’origine de ta métaphore culinaire ? 👋
– Non, mais les canards-zombies, eux, ils viennent de la fantastiquement étrange science-fiction. La princesse, elle, est née dans un conte.
– Mais pas du tout 👋. Elle a été inspirée par un recueil de contes, mais elle a été conçue ici, elle appartient à la fantasy 👋.
– Quant à Roland ?
– Maintenant, tais-toi 👋. D’autant que l’origine de ces monstres n’intéresse personne, 👋 ils sont là-bas et ils vont semer la destruction 👋. Surtout, n’ajoute rien ! Ou tu vas aller…
– Non... non, Merlin, je serais muet.
– Alors, allons voir ce qu’est devenu, en 2017, mon antre en forêt de Brocéliande. »
En ce temps-là, la chaumine de granit bleu, qui avait subi des extensions, était un gîte dont le nom « Repaire de l’Enchanteur » était gravé sur le battant supérieur de la porte en chêne. Le sieur Gwenaël Boemer accueillit avec plaisir ces éventuels clients, dont il pensa que les déguisements étaient en harmonie avec le lieu. Contre rétribution, il leur offrit le vivre et le couvert, il accepta sans sourciller les deux sols d’or que Merlin lui remit après avoir fait décrire des volutes à l’extrémité de sa baguette en murmurant des paroles inintelligibles.
Après le déjeuner, leur hôte les convia à regarder une étrange lucarne. Comme la vasque d’observation du mage, elle permettait de voir des personnes se trouvant en d’autres lieux. Mais cela ressemblait plutôt à un Scutum 2 que l’on aurait accroché au mur, exposant sa face interne dans laquelle de l’eau eut gelé. Le jouvenceau s’enthousiasma pour une retransmission sportive commentée par le maître de maison. Le lendemain matin, Merlin fureta dans la partie du logis qui fut sa tanière, il constata que la vasque de porphyre était toujours scellée sur son pied, il y versa de l’eau, pratiqua quelques passes magiques et invita le disciple à venir observer nos protagonistes.
***
Au milieu du bruit assourdissant des claquements de bec dentus retentit le premier cri. Fort heureusement, à cette heure, la population était au travail. Les commerces n’avaient pas encore ouvert leurs portes après la coupure de mi-journée. Entre la bibliothèque et l’auberge, le seul établissement non fermé était une taverne d’où sept hommes et deux femmes étaient sortis. L’un d’eux était tombé, aussitôt submergé par les premiers rangs de la marée de canards-zombies. Les becs dentus commençaient à déchiqueter le pauvre bougre harcelé de toutes parts, qui ne parvint pas à se redresser.
Roland et Silaid échangèrent un regard. Ils s’élancèrent au secours de l’individu en si mauvaise posture, imités par Gaël. Lequel interpellant l’homme du pays imaginaire (curieusement affligé d’incisives maxillaires centrales d’une taille… inhabituelle), lui tendit le tranchoir que l’aubergiste venait de lui remettre et s’arma d’un couteau à découper, « allez ! Nibs, on va les aider ». Ce dernier tint la porte au patron, qui une plommée à la main, dit au dernier membre du quatuor « Yanick ferme et veille sur Nelly », puis les rejoignit.
Silaid, Roland, Gaël, Nibs et l’hostelier, que ses compagnons appelaient Airt, affrontèrent immédiatement les premiers volatiles. Après avoir vainement embroché, décapité, frappé, amputé les curieux palmipèdes en évitant de se faire mordre. Ils constatèrent rapidement que seuls semblaient définitivement hors d’état de nuire les zombies qui avaient la tête écrasée, ouverte ou transpercée.
Ils exterminèrent les monstres des avant-gardes en moins de deux minutes. Ils arrivèrent bientôt au contact de la masse compacte de volatiles, dont aucun ne paraissait vouloir s’envoler.
« S’ils prennent leur envol, les choses vont considérablement se compliquer, lança Roland.
– Sans leurs dents, on dirait des canards domestiques, ils doivent avoir été éjointés, sinon ils ne persisteraient pas tous à se bousculer au sol. Croyez-moi, je m’y connais, répondit Airt. »
Leur groupe avançait vers l’homme à terre, creusant un couloir, qui progressait à contre-courant du flot constant de canards-zombies, délimité sur leur droite par les murs et sur leur gauche par un remblai de zombies irrémédiablementt inertes. Lorsqu’ils arrivèrent devant la taverne, il ne restait du malheureux qu’un squelette parfaitement nettoyé. Deux de ses compagnons avaient été mordus en essayant de lui porter secours.
Des “Miaou”, des “Maou”, des “Ksss”, des “Sshhh”, provenant du côté de l’auberge, firent se retourner nos héros qui s’apprêtaient à entrer dans l’estaminet en soutenant les blessés. Le chat faisait des bonds, des cabrioles, tranchait des cous, projetait des têtes en l’air, jonglait avec lorsqu’elles retombaient. Une pensée effleura la conscience de Roland : mais comment avec ses griffes peut-il décapiter ces monstres ? D’ailleurs, comment a-t-il pu catapulter le canard vers nous ? Puis elle se dissipa. Comme Gaël, qui entrait le dernier dans l’auberge, jetait un coup d’œil en direction de Miou, pour lequel il s’était pris d’affection, ce dernier avait disparu.
***
« Hé ! Vous voyez Merlin, on a beau être en plein tournoi à Roland-Garros, un tel coup droit avait de quoi attirer l’attention. Pas futé, le djinn ! »
Une tornade s’abattit sur la forêt de Brocéliande. Miou derrière le disciple. Conformément au décorum traditionnel, seule la partie supérieure de son corps semblant sortir d’une lampe était visible.
« chut… risqua Merlin.
– Remarquez, le retour de la princesse n’était pas mal non plus, ha, ha, ha ! »
Merlin prit le benêt par les épaules et lui fit faire un demi-tour sur lui-même.
« Pas futé ? tonna le djinn.
– Il n’est pas bleu, s’exclama le jouvenceau terrifié! »
Le génie, qui ne cessa de ressasser “pas bleu”, se saisit d’eux et ne les relâcha que lorsque la tornade les eut réintégrés dans leur époque.
« Pas bleu ! Tiens, tiens... tu aimes le bleu, hein ? cracha Miou, qui transforma le disciple en Schtroumpf, puis sa forme féline. »
Merlin après quelques minutes qu’il jugea salutaires pour le benêt mit fin, d’un coup de baguette magique, au jeu avant qu’il ne soit fatal à son pensionnaire. Il donna à Miou l’apparence de le génie de la lampe du film « le septième voyage de Sinbad ». Et il rendit la sienne au disciple.
***
Sur la place de la bibliothèque, les hommes du guet canalisaient les canards-zombies, les empêchant d’emprunter d’autres voies. Les sergents avaient également réalisé que pour se débarrasser de ces morts-vivants, ils devaient détruire leurs cerveaux. Tâche qui compte tenu de la taille de l’organe en question était beaucoup plus compliquée que de trucider des canards. Plus les soldats étaient contraints de reculer sous le nombre, plus l’entassement de corps inertes de monstres décervelés s’élevait, formant une rampe que leurs congénères gravissaient. Les becs dentus étaient maintenant à hauteur de hanche des hommes de la prévôté dont heureusement les mains étaient protégées par des gants de cuir et la garde en corbeille de leurs rapières.
***
Note du scribe qui couche les actions et les paroles des personnages de cette aventure sur les bits : Je tiens à préciser que, bien que je sois sensible au bien-être animal, mon militantisme ne va pas jusqu’à me priver de ce chef-d’œuvre gastronomique qu’est le foie gras. En pénitence, je contribue au développement de ma propre cirrhose en ingurgitant maints spiritueux.
***
Notes :
1) 👋Merlin calotta son disciple.
2) Scutum ➢ Bouclier rectangulaire des légionnaires Romains.
Source des imagesNotes :
Miou : d’après Monster Wiki.
Azraël et le schtroumpf de Peyo fournie par : Images HD Download.
Baronni : d’après photo d’exploitation du film.

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