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Clac clac clac

« Vous voulez donc analyser comment les autres perçoivent votre défaut de visage ! Curieuse démarche.
– Vous ne me croyez pas ?
– Si ! Comment inventer un mensonge pareil ?
– Je ne mens jamais !
– Me dit-elle les yeux dans les yeux ! J’en prends note, mais comment compter vous mener cette… étude ?
– En restant auprès de vous pendant plusieurs semaines… sauf pendant les moments réclamant de l’intimité évidemment.
– Ça, je l’avais compris dès votre seconde phrase.
– Excusez-moi, Roland. Je voyage pour apprendre. Partout, je trouve à approfondir mes connaissances. Où vous déciderez d’aller, j’irai… si vous acceptez. Je peux être utile, en cas de mauvaise rencontre par exemple.
– Oh ! Je n’en doute pas, mais je vous ai donné mon accord dès ma seconde phrase.
– Écoutez, Roland, j’essaie d’engager une conversation avec vous. J’ai ouï dire que vous étiez peu bavard, mais si vous me répondez systématiquement “on l’a déjà dit” cette conversation va se transformer en monologue.
– Excusez-moi, Silaid, sans doute avez-vous raison. Comme vous semblez détenir un certain nombre d’informations à mon sujet, et que pour ma part je ne connais de vous que votre nom et ce que je vois et déduis. Je propose que vous me parliez de vous.
– D’accord. Donc je viens, tout comme vous, d’un autre monde. Je suis une princesse sassanide, les miens règnent sur d’immenses territoires couvrant mille lieues de la Sîn au levant à la Cilicie au couchant, et six cents de la Chorasmie au nord à Mazun au sud. Carte du pays de mon père, que tu sois de papyrus ou de vélin, je te conjure dans les airs ou les eaux, et te commande au nom d’Ohrmazd1 d’apparaître aussi vite que l’étoile filante traverse le ciel. Êta at bekon ! Êta at bekon !  »
Roland observa sans y toucher le parchemin qui venait de se matérialiser sur la table.
« Et je pratique la magie, ajouta Silaid.
– J’ai vu… très intéressante votre carte.
– La capitale de notre royaume est ici à Istakhr, ses murailles protègent le palais d’où mon père gouverne. Là, à soixante-dix lieues au sud-sud-ouest de Tachkent, la cité de Samarcande abrite celui de mon oncle.
– Savez-vous que je collecte la connaissance sous toutes ses formes ? Je possède un artefact qui me permettrait de copier votre document, m’y autoriseriez-vous ? »
Ce fut au moment où Roland sortait le study-pad de sa poche Nakor que le premier canard-zombie entra dans l’auberge en se dandinant. Clac clac clac, faisait son bec étrangement muni de dents. Les incisives allaient se refermer sur la queue du chat, quand ce dernier d’un coup de patte magistral expédia le volatile dans les airs, en direction de la table de Roland et Silaid. La tête du canard-zombie se détacha de son cou avant que Roland n’ait posé la main sur l’oo’lu. Le cimeterre et Silaid avaient réintégré leurs places respectives lorsque les deux parties du zombie retombèrent sur le sol. Sept paires d’yeux écarquillés suivirent le corps du canard-zombie qui parcourait une spirale s’élargissant. Jusqu’à ce qu’il rencontre le crâne dentu, qu’il prit sous son aile, puis l’animal sortit de l’auberge accompagné par le clac clac clac du bec qui continuait de chercher à mordre.
***
« Merlin, Merlin, vous avez vu ? Que fait-il là-bas, celui-là ?
– La porosité, disciple, la porosité ! Sais-tu ce qu’est la porosité ?
– Euh ! Oui quand une amphore devient poreuse son contenu suinte.
– Effectivement… mais non 👋2 pas cette porosité-là. La po-ro-si-té des gen-res, la fantasy évolue, ses limites sont floues. Il arrive qu’elle emprunte, voire qu’elle s’approprie un archétype d’un genre voisin.
– Oui, oui Merlin. Le canard-zombie a franchi la frontière. Parce que lui est on ne peut plus fantastique et même plutôt fantaisiste.
– Tout à fait, de même que le djinn a, lui, traversé celle qui sépare le conte de la fantasy… Observe en silence, si tu ne te tais pas, je t’envoie contempler “La troisième Quête”, et tu me feras une fiche en 15 à 25 lignes maximum résumant les différentes intrigues imbriquées. 👋 »
***
Roland s’apprêtait à commenter la célérité de Silaid quand un bruit sourd prit naissance à l’extérieur. Chacun prêta l’oreille. Le ton enfla, il devint un brouhaha, bientôt l’on put distinguer les « clac clac clac » émis par des milliers de becs. Puis l’auberge fut envahie par le tintamarre de dizaines de milliers de « clac clac clac ».
Silaid, Roland, le patron, Gaël et ses deux compagnons sortirent. Un flux continu de canards-zombies s’écoulait de la bibliothèque par ses portes grandes ouvertes.
« Merde, ils arrivent par la faille qui se trouve dans les sous-sols de la bibliothèque. »
***
Notes :
1) Ohrmazd ➢ divinité centrale de la religion mazdéenne
Êta at bekon ➢ Verbe persan etâ at kardan à l’impératif présent 2e personne du singulier.
2) 👋Merlin calotta son disciple.
Carte de l'Empire Sassanide fournie par antikforever

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